L'article
Dans le B2B, la loi de Pareto se vérifie généralement dans la ventilation du chiffre d’affaires entre les clients : 20 % des comptes génèrent 80 % du chiffre d’affaires.
L’Account-Based Marketing (ABM) est en quelque sorte l’adaptation de ce constat à l’acquisition : plutôt que de disperser les ressources marketing sur un maximum de leads, on va concentrer les efforts sur un nombre plus ou moins restreint de comptes à fort potentiel. Décryptage…
Qu’est-ce que l’Account-Based Marketing (ABM) ?
L’Account-Based Marketing (ABM) est une stratégie B2B qui concentre les ressources marketing et commerciales sur un nombre prédéfini de comptes à fort potentiel.
Contrairement au marketing B2B traditionnel qui vise à générer un maximum de leads pour ensuite les qualifier et lancer l’approche commerciale, l’ABM part des entreprises que l’on souhaite conquérir pour construire une approche sur-mesure.
L’ABM répond à une réalité économique simple dans le B2B : 20 % des comptes génèrent généralement 80 % du chiffre d’affaires (loi de Pareto). Il est donc légitime de vouloir concentrer les ressources (et les investissements) sur ces comptes stratégiques plutôt que de les disperser sur une cible trop large.
Concrètement, la stratégie ABM traite chaque compte cible comme un territoire ou un marché à conquérir. Cette logique de « market of one » nécessite un gros travail en amont pour connaître l’entreprise visée dans le détail :
- Sa structure organisationnelle et ses principaux décisionnaires ;
- Les enjeux de son secteur d’activité et ses défis business ;
- Son écosystème technologique et ses contraintes réglementaires ;
- La culture d’entreprise et le positionnement sur le marché.
Nous sommes donc sur une stratégie plus ou moins personnalisée (nous le verrons par la suite) qui crée des messages rigoureusement adaptés à la cible, diffusés sur les canaux de communication les plus utilisés par cette cible et qui construit un dispositif commercial calibré sur son processus d’achat.
Quels sont les objectifs de l’ABM ?
L’ABM est né aux États-Unis au début des années 2000 dans les entreprises de la tech qui commercialisaient des solutions complexes (ERP, CRM, infrastructures IT). Ces éditeurs faisaient face à un problème majeur : malgré des investissements marketing importants (notamment sur la publicité), leurs cycles de vente s’allongeaient et leurs taux de conversion diminuaient.
En réalité, les entreprises cibles, notamment les grands comptes, recevaient beaucoup trop de sollicitations marketing génériques qui ne prenaient pas en compte leur contexte business. Les acheteurs devaient fournir un effort majeur pour comprendre le produit et faire un choix éclairé.
ITSMA, cabinet américain spécialisé dans le marketing B2B, a formalisé l’approche ABM en 2004 pour donner les moyens aux entreprises de « mieux parler » à ces grands comptes, grâce notamment à un niveau de personnalisation inédit.
💡 Le chiffre à connaître |
Selon le baromètre Account-Based Marketing de Winbound, 62.5 % des entreprises françaises ont déjà déployé une stratégie marketing sur des comptes prioritaires (vs. 70 % en moyenne dans les régions EMEA et Amérique du Nord). |
Objectif 1 : améliorer le taux de conversion sur les comptes stratégiques
Plutôt que de toucher un maximum d’entreprises en espérant que quelques-unes convertissent, on identifie en amont les comptes à plus fort potentiel pour concentrer les efforts.
Cette approche marketing mobilise toute l’entreprise autour d’une liste restreinte de comptes cibles. Par exemple, pour conquérir un groupe industriel de 5 000 salariés :
- Les équipes marketing analysent sa stratégie, ses projets, ses investissements récents ;
- Le marketing crée des contenus premium personnalisés (livres blancs, études de cas, baromètres, guides pratiques…) ;
- Les commerciaux cartographient les décideurs et leurs interactions ;
- Le service client étudie les retours des comptes clients similaires ;
- La direction produit adapte sa roadmap aux besoins de ce type d’acteur
Cette mobilisation (synergie) coordonnée sur quelques comptes augmente naturellement les chances de conversion, par opposition à une approche marketing de masse qui disperse les ressources et qui ratisse large, voire très large.
Objectif 2 : avancer sur le chantier rebelle de l’alignement des équipes vente et Marketing
L’ABM oblige les équipes marketing et commerciales à travailler ensemble sur les mêmes comptes stratégiques. C’est une opportunité rare de tester et valider des modes de collaboration :
- La qualification commune des comptes cibles ;
- Le partage des insights terrain ;
- La création conjointe des messages marketing et de contenus ;
- L’analyse partagée des résultats.
Les enseignements tirés de cette collaboration sur quelques comptes peuvent ensuite être appliqués à plus grande échelle. L’objectif dépasse le succès de la campagne ABM en cours :
- Les commerciaux passent plus de temps à vendre (sachant qu’il s’agit d’une ressource rare et chère en France) ;
- Le marketing produit des contenus plus pertinents (moins théoriques et génériques) car nourris par le terrain ;
- Les prospects reçoivent un discours cohérent, qu’ils parlent au marketing ou aux commerciaux.
💡 Le chiffre à connaître |
Le degré d’alignement moyen entre les commerciaux et le marketing ne dépasse pas 16 %, selon une étude réalisée par le LinkedIn B2B Institute en 2024 (voir ici). L’enjeu est pourtant énorme : les entreprises dont les deux fonctions sont alignées génèrent 208 % de revenus en plus, selon HubSpot. |
Objectif 3 : augmenter la Valeur à Vie des Clients
L’ABM ne se limite pas à l’acquisition de nouveaux comptes. Il s’applique également aux grands comptes déjà clients. Une fois la relation commerciale établie et le coût d’acquisition plus ou moins amorti, ces clients représentent souvent le potentiel de croissance le plus rentable.
La stratégie ABM sur les clients existants poursuit trois objectifs complémentaires :
- Le cross-selling pour étendre la relation à d’autres besoins du compte. Par exemple, un cabinet de conseil qui accompagne la direction financière peut identifier des besoins en transformation RH, ou un fournisseur de matières premières peut proposer des services de co-développement à ses clients industriels ;
- L’up-selling pour faire monter en gamme les solutions existantes. Un équipementier propose des contrats de maintenance premium, un prestataire logistique enrichit son offre avec du stockage personnalisé, un cabinet d’audit ajoute des missions de conseil stratégique.
- Ou simplement la fidélisation du grand compte, dans la mesure où la stratégie ABM joue le rôle d’un Customer Success Management plus poussé.
Quelles sont les étapes de la stratégie ABM ?
1. Identification des comptes cibles
La définition des priorités et la qualité de la sélection conditionnent le succès de la stratégie ABM. Tout commence par l’analyse des données internes : on étudie d’abord les caractéristiques des meilleurs clients existants pour établir un profil type du compte idéal (taille, secteur d’activité, maturité technologique, budget, etc.).
Une fois ce profil établi, on passe au screening externe pour identifier les entreprises qui y correspondent. On s’appuie sur plusieurs sources de données : les études sectorielles, la veille économique, les annonces d’investissement, les mouvements de dirigeants, les publications financières, etc. Par exemple, si on cible les entreprises en transformation digitale, on sera attentif aux nominations de Chief Digital Officers ou aux communiqués sur des projets technologiques.
Mais tous les « candidats » ne seront pas retenus, car il faut encore intégrer des critères de faisabilité. Une stratégie ABM pertinente est une stratégie viable et réaliste. On va donc évaluer la probabilité de conquête de chaque compte. Par exemple : un compte peut avoir le bon profil mais être verrouillé par un concurrent historique. Il sortira alors de la liste ABM.
Cette phase d’identification aboutit généralement à une shortlist de 10 à 50 comptes selon les ressources allouées à la stratégie ABM.
2. Définition des objectifs par compte ABM
C’est peut-être cliché de le dire, mais cette phase mérite toute votre attention car elle définit ce qui sera considéré comme une conversion et, in fine, un bon ou un mauvais résultat. L’objectif (à l’échelle de chaque compte) va déterminer le niveau de ressources à allouer et les indicateurs de performance à suivre.
Pour un nouveau compte, on pourrait par exemple définir l’objectif suivant : décrocher un premier contrat « significatif » (dans le top 20 % du portefeuille client actuel), équiper une Business Unit pilote, etc.
Si la stratégie ABM s’inscrit dans une optique de fidélisation, on visera plutôt l’extension du contrat actuel à d’autres entités, l’upselling, le cross-selling, etc.
Dans la logique SMART, les objectifs de la stratégie ABM doivent être datés et chiffrés. « Devenir le fournisseur de référence » n’est pas un objectif ABM acceptable. En revanche, « signer un contrat de 150 K€ avec la direction financière d’ici 9 mois » est un objectif bien formulé qui permettra de calibrer les actions et qui facilitera la mesure du succès de l’ABM.
La définition des objectifs doit aussi prendre en compte la position de départ : sommes-nous déjà référencés ? Avons-nous des contacts établis ? La réponse à ces questions impacte directement le niveau d’ambition et le calendrier.
💡 À savoir |
Les objectifs ABM doivent refléter une ambition réaliste. Si le compte cible vient de signer un contrat-cadre avec un concurrent, inutile de viser un remplacement total à court terme. Mieux vaut se positionner sur des besoins complémentaires ou un one-shot. |
3. Création du contenu personnalisé ABM
Vous ne capterez pas l’attention d’un décideur de grand compte avec un article de blog générique sur « les 10 tendances du secteur » ou un email commercial standard. Cette cible est submergée par des centaines de sollicitations chaque mois (si ce n’est plus).
Vos quelques secondes d’attention, vous ne les aurez que si vous proposez un contenu ABM adapté aux comptes, qui parle directement et quasi-nominativement du compte cible : un problème que vous avez identifié chez lui, un gros pain point que vous allez pouvoir adresser, un étude inédite sur son secteur d’activité, un rapport détaillé sur l’impact d’une nouvelle réglementation sur sa part de marché, etc.
Pour préserver le ROI de votre stratégie ABM, commencez par un audit des contenus existants. Si votre Content Marketing est qualitatif, vous aurez probablement du matériel à réutiliser ou à adapter.
💡 Exemple |
Un livre blanc sur la transformation digitale dans le secteur bancaire peut être adapté pour un compte cible type « banque mutualiste », en ajoutant une analyse de ses initiatives « banking-as-a-service », son délai de mise sur le marché des paiements instantanés comparé à ses concurrents directs, et l’impact de la DSP2 sur sa stratégie d’Open Banking. |
La personnalisation des contenus ABM s’opère généralement sur trois dimensions :
- Le fond : les arguments s’appuient sur les données réelles du compte, ses projets en cours et ses indicateurs clés.
- La forme : on adapte le format selon la culture de l’entreprise cible. Une étude de 50 pages pour un groupe industriel traditionnel, un format dynamique pour une scale-up…
- Le timing : chaque contenu doit être créé pour une phase de décision bien précise. Des études pour la phase de découverte, un business case pour la validation budgétaire, etc.
💡 Faut-il personnaliser TOUS les contenus ABM ? |
L’ultrapersonnalisation de chaque document n’est pas toujours nécessaire (sans oublier qu’elle est rarement viable sur le plan économique). On recommande généralement de travailler par segments de clients (on en parle plus bas). Mais il y a une exception. Si vous visez un « Dream Account », par exemple un compte qui représente 15 % de votre marché adressable ou qui pourrait déclencher un effet domino dans son secteur, l’ultrapersonnalisation se justifie largement. |
4. Mise en place d’une approche multicanale
Sans être « tous azimuts », votre stratégie ABM devra miser sur au moins deux canaux de communication. Les décideurs des comptes cibles doivent en effet être exposés à vos messages sur différents points de contact, en ligne et potentiellement hors ligne. Typiquement, l’approche multicanale va couvrir :
- Des campagnes publicitaires sur LinkedIn, avec des audiences chirurgicales construites autour des décideurs identifiés dans le compte ;
- Un dispositif de retargeting pour toucher ces décideurs sur leur navigation quotidienne (Display) ;
- Des événements privés organisés spécifiquement pour le compte : petit-déjeuner expert, retour d’expérience d’un compte similaire, étude exclusive sur le marché du compte cible, etc. ;
- Un programme d’engagement personnalisé sur LinkedIn pour des interactions régulières : vos dirigeants commentent les publications du compte, partagent ses succès, alimentent les conversations du secteur, etc.
5. Exécution et suivi de campagne ABM
Si vous mettez en œuvre votre toute première stratégie ABM, ne touchez surtout pas aux Dreams Accounts (ceux qui peuvent changer l’envergure de votre boîte). N’approchez jamais un compte à très fort potentiel si vous êtes en phase de rodage.
Commencez plutôt par 2-3 comptes à enjeu modéré, si possible avec des profils différents : par exemple, un compte déjà client à développer et un nouveau compte à conquérir. Cette diversité vous permettra de tester différents messages et approches. Comptez 4-6 mois de test avant d’envisager un déploiement plus large.
Le suivi s’appuie sur des dashboards partagés entre le marketing et les ventes et permet de monitorer le pipeline des opportunités :
- En phase de découverte : combien de décideurs clés ont consulté vos contenus ?
- En phase d’évaluation : quels sujets suscitent le plus d’intérêt ?
- En phase avancée : comment progressent les discussions budgétaires ?
Les équipes se réunissent chaque semaine pour analyser ces signaux et adapter la stratégie. Si un message ne résonne pas après plusieurs tentatives, modifiez-le. Si un canal performe particulièrement bien, retravaillez l’allocation des budgets entre les canaux ABM.
💡 À savoir |
Un compte qui ne montre aucun signe d’intérêt après 6 semaines d’actions ciblées mobilise des ressources qui seraient mieux investies sur des cibles plus réceptives… sauf pour les Dreams Accounts, où la patience peut se justifier par l’enjeu stratégique. |
Les différents types d’ABM, leurs avantages et leurs inconvénients
1. L’ABM one-to-one (1:1)
C’est la forme la plus personnalisée, la plus intensive et la plus « noble » de l’Account-Based Marketing. Cette stratégie ABM consiste à mobiliser des ressources marketing et commerciales considérables sur un nombre très restreint de comptes à fort potentiel (entre 1 et 5 comptes par an). Nous sommes tout simplement sur du sur mesure.
Cette approche se justifie pour des comptes à très fort potentiel : soit des grands comptes avec un ticket moyen annuel supérieur à 100K €, soit des Dream Accounts dont la signature pourrait transformer l’entreprise (effet de référence majeur, accès à un nouveau marché…). L’inconvénient est évident : le coût.
On compte généralement trois cas d’usage pour l’ABM one-to-one :
- Conquérir un compte réputé imprenable (verrouillé par la concurrence) ;
- Accélérer le développement d’un grand compte existant ;
- Pénétrer un nouveau secteur via un acteur de référence.
2. L’ABM one-to-few (1:few)
Dans cette stratégie ABM, on va plutôt cibler des clusters de 5 à 20 comptes qui partagent des caractéristiques communes : même secteur d’activité, problématiques similaires, technologies comparables, etc.
C’est le stade intermédiaire de l’ABM, qui prend en compte les contraintes budgétaires mais qui ne renonce pas complètement à un certain degré de personnalisation. L’idée est de pousser des contenus et messages relativement personnalisés à l’échelle de chaque cluster.
On recommande l’ABM one-to-few aux entreprises qui souhaitent pénétrer un segment de marché bien précis ou développer une nouvelle offre. Le budget est plus raisonnable que le one-to-one (environ moins de 20 k € par compte en général) car les coûts sont mutualisés sur le cluster.
Le défi ici sera de trouver le bon équilibre entre la personnalisation et le côté scalable.
3. L’ABM one-to-many (1:many)
C’est la version « ABM de masse » (toutes proportions gardées). On vise ici une cinquantaine, voire une centaines de comptes, avec un niveau de personnalisation limité. Les comptes sont regroupés par segments plus larges et reçoivent des contenus semi-personnalisés.
L’ABM one-to-many est généralement recommandé aux entreprises qui débutent dans l’Account-Based-Marketing et qui ne souhaitent pas (encore) y consacrer un budget conséquent. L’avantage est évidemment le coût modéré (moins de 5K € par compte), mais le taux de conversion est bas.
On peut toutefois dégager un excellent ROI si la segmentation des prospects est bien réalisée et si la personnalisation est intelligente (même si elle reste relativement superficielle).